Considérations sur la campagne de 1815


Incohérences et mensonges


Les supporters inconditionnels d'un empereur infaillible se basent en général sur les « mémoires pour servir à l'histoire de la France en 1815 ». Qui, mieux que Napoléon, savait ce qui s'est passé ? Peut-être (et sans doute) le sait-il, mais ce qu'il écrit est autre chose.

Les pages 69 à 83 sont édifiantes :

Page 69, il écrit qu'un ordre a été envoyé à Grouchy à 10h00, puis une copie à réception du premier message de Grouchy à 11h00. Mis à part l'erreur dans l'heure d'arrivée du message, on sait que plus personne ne croit aujourd'hui à l'existence de ces ordres, pas même les meilleurs soutiens de l'Empereur.

Il écrit aussi que Grouchy avait « perdu de vue » les prussiens. Grouchy ne pouvait pas les avoir perdu de vue puisqu'il ne les avait jamais vus ! Tout au plus pourrait-on adresser ce reproche à Excelmans…

Page 70, il en remet une couche : Blücher a « échappé » à Grouchy qui n'a parcouru que deux lieues « dans la journée du 17 ». Jolie manière de donner l'impression que Grouchy a traîné, quand on sait que le mouvement n'a commencé qu'en milieu d'après-midi, sous la pluie1.

Quand à Blücher… comment oser prétendre qu'il a « échappé » à un poursuivant parti avec plus de 12h de retard ?

Page 71, on nous dit que « pendant la nuit, l'empereur donna tous les ordres nécessaires pour la bataille du lendemain ». D'une part nous savons que cela est faux (voir plus haut), d'autre part Napoléon se contredit lui-même quelques phrases plus loin : « Actuellement il était probable que le duc de Wellington et le maréchal Blücher profitaient de cette même nuit pour traverser la forêt de Soignes... ». Quelle bataille a-t-il préparé si l'ennemi recule ?

Entre les deux, il évoque encore la victoire qu'il aurait obtenu en attaquant l'armée de Wellington « dans l'après-midi du 17 » - ce que des retards de sa gauche l'auraient empêché de faire. On sait que Wellington a reculé dès 10h00 et que Napoléon était encore à Ligny vers midi…

Page 72, il raconte sa sortie a pied (dans la boue?), accompagné seulement de son « grand maréchal ». Qui que soit ce grand maréchal, il n'a jamais semblé se souvenir de cette reconnaissance, passée tout aussi inaperçue de tout l'entourage au Caillou. C'est un peu comme si Napoléon y avait laissé un sosie…

Sur la même page, belle description du tableau qui est supposé s'offrir à ses yeux : la forêt de Soignes (qui est à plus d'un kilomètre!) éclairée par de grands feux de camp sous une pluie diluvienne… pourtant les anglo-néerlandais se souviennent, comme les troupes françaises, d'une nuit froide et épouvantable sous la pluie… pas de grands feux de camp.

Il affirme que Wellington commet une erreur en choisissant cette position. C'est sans doute en effet ce qu'il a pensé le 18 au matin – la journée lui a montré qu'il avait tort.

Le descriptif des positions ennemies par contre est erroné, puisque Napoléon place Chassé et les belges à la Haie Sainte, alors qu'ils sont tout à la droite et en retrait du dispositif de Wellington. Mauvaise reconnaissance...

Page 76, Napoléon écrit que les colonnes arrivèrent à 9h00 aux emplacements où elles devaient se déployer. Rien n'est plus faux : les troupes de Reille, qui attaqueront Hougoumont, n'arrivent que vers 11h00, et celles destinées à l'attaque de d'Erlon ne sont pas toutes en place vers 13h30 !

Page 81, Napoléon dit que le bois d'Hougoumont était défendu par les gardes anglaises. C'est faux. Ce sont des troupes de Nassau.

C'est page 82 que l'on trouve le récit des troupes aperçues sur les hauteurs de Saint-Lambert, ainsi que la mention du « hussard noir » capturé par les « 300 chasseurs qui battaient l'estrade entre Wavre et Planchenoit ».

J'ai déjà dit ce que je pensais de ce porteur de lettre « fort intelligent », si intelligent qu'il « donne de vive voix tous les renseignements que l'on pût désirer ». Une lettre est donc envoyée à Grouchy, il est onze heure.

D'une part, je me demande si Napoléon aurait jugé si intelligent un de ses officiers qui aurait informé l'ennemi de ses mouvements. J'ignore si déjà en 1815 on ne pouvait demander plus que le nom, le rang et l'unité, mais…

D'autre part, l'ordre connu est supposé avoir été envoyé à 13h00. Une telle nouvelle ne permet pas d'attendre deux heures pour l'envoyer. Bref, rien ne joue.

Page 83, l'Empereur ordonne à Lobau de se porter « du côté de Saint Lambert » pour y arrêter les prussiens. Il ajoute que « ces ordres furent exécutés sur-le-champ » et ajoute qu'« il était de la plus haute importance que le mouvement du comte Lobau se fît sans retard ». Pourtant le-dit mouvement s'arrêta entre Rossomme et Papelotte, sous les yeux de Napoléon qui… laissa faire. Pas cohérent.

On ajoutera que Napoléon ne se contente pas d'avoir aperçu les prussiens, il les observe : « Il était midi (…), du côté de l'extrême droite les troupes du Général Bülow étaient encore stationnaires. Elles paraissaient se former et attendre que leur artillerie eût passé le défilé ». A midi Bülow est à Saint-Lambert, ses troupes ne sont pas visibles et pas formées. C'est de l'affabulation.

Que retenir de tout ceci ? Napoléon raconte « son Waterloo ». Sans doute en changerait-il la fin, s'il le pouvait. On ne peut le lui reprocher. Mais prendre la parole de l'Empereur pour parole d'évangile, c'est croire une histoire fausse. Non, les mémoires ne sont pas LA référence pour comprendre ce qui s'est passé le 18 juin 1815.

On notera toutefois que les mêmes qui dénoncent ces « mensonges » (Napoléon n'était pas historien et, comme César, écrivait pour sa propre gloire) utilisent quand même les mémoires comme source (par exemple Damiens pour l'ordre des troupes avant l'attaque du premier corps). Difficile parfois de démêler le vrai du faux.


1En ligne droite, la distance entre Ligny et Gembloux est de 9.6km environ, contre 10.6km entre les Quatre-Bras et la Belle Alliance. Et encore, une grande partie des troupes de Napoléon n'ont pas beaucoup dépassé Genappe... De plus, en raison de l'orage, les troupes de Grouchy ont fait un détour - par un chemin en mauvais état - tandis que celles de Napoléon ont pu utiliser une bonne route (mais en combattant en cours de route).

Designed for 1920x1080
Cette page est encodée en UTF-8. Si les lettres accentuées sont incorrectes voyez avec votre navigateur.
© Thierry de Coulon - 2021