Considérations sur la campagne de 1815


Les fraises


On ne peut éviter de parler des (célèbres) fraises de Grouchy.

Commençons par signaler que cet épisode n'apparaît que tardivement, à un moment ou Gérard cherche à obtenir un poste. L'histoire raconte que Grouchy aurait été informé de la canonnade de Waterloo alors qu'il perdait son temps à festoyer chez le notaire Hollert.

Or une étude attentive des pièces à disposition montre que Grouchy est chez le notaire beaucoup plus tôt. Il y recueille des informations précieuses (et relativement exactes) sur les mouvements des prussiens – informations qui semblent confirmer le retrait de certaines unités (en réalité les bagages) dans la direction d'Aix-la-Chapelle. Grouchy s’inquiète dans la foulée de la possibilité de munitionner ses troupes.

Il n'est pas invraisemblable que le notaire ait offert des fraises à son visiteur, mais c'est sans importance : Dès qu'il est en possession de ces informations, Grouchy accompli son devoir en rédigeant un troisième message à Napoléon, message envoyé vers 10h00 ou 10h30.

A ce moment là, il ne se passe encore rien de notable à Waterloo et aucune canonnade ne peut y être entendue.

Vers 11h30, lorsque les premiers coups de canon tonnent à Mont Saint-Jean, Grouchy à rejoint ses troupes aux abords immédiats de Wavre. Si l'on entend alors une canonnade, ce sont les pièces de 6 qui restent à Reille pour essayer de vider le bois d'Hougoumont de ses défenseurs. On ne me fera pas croire que des militaires professionnels de 1815 ne savaient pas distinguer au son des pièces moyennes de pièces lourdes. Grouchy n'a donc aucune raison de penser que l'engagement est de grande importance et qu'il doit modifier sa stratégie. Un combat d'arrière garde a lieu sur la route de Bruxelles, rien de bien extraordinaire.

Que se passe-t-il une heure plus tard lorsque la grande batterie marque le début de la « grande bataille » ? C'est une question à laquelle il est difficile de répondre faute d'avoir le détail des actions devant Wavre. J'ai cherché des documents prussiens sur le sujet, mais je n'ai rien trouvé jusqu'ici.

On sait que Vandamme a lancé l'attaque sur le centre de Wavre, me semble-t-il plus ou moins de sa propre initiative1 , entre 14h00 et 16h002. Pouvait-on entendre la canonnade directement sur place, ou l'information a-t-elle du être ramenée vers l'avant, et si oui combien de temps cela a-t-il pu prendre ?

Par ailleurs le document déjà cité de la Waterloo Association sur le déplacement prussien contient une mention intéressante3 :
«Bulow’s corps (...) had been ordered to march at dawn (...). The 15th Brigade led the march; they set off as ordered at 4 a.m., however due to subsequent delays the rear of the corps was only just setting off from the camp six hours later. And to make the situation worse, as the rearguard troops began to march off, the baggage train was attacked by Exelman’s cavalry (...).»

Si l'on fait un petit calcul, le corps se met en marche à 04h00, l'arrière garde «commençait à quitter le camp» six heures plus tard, on aboutit au fait que la cavalerie française aurait attaqué l'arrière garde de Bülow, à Dion-le-Mont, entre 10h00 et 11h00 le matin du 18 juin.

Le point n'est pas anecdotique : une fois ses troupes engagées, les règles sont que Grouchy ne pouvait pas les désengager sans risquer de créer une panique, ce d'autant qu'il semble avoir pensé (à tort) faire face à toute l'armée prussienne. Il semble qu'au moment où l'on entend la grande batterie, Excelmans combat à La Baraque (environ 4.5 km à l'ouest de Dion-le-Mont), en présence de Grouchy, dès environ 13h004 - ce qui est compatible avec l'attaque sur l'arrière garde du quatrième corps.

Grouchy n'a-t-il pas pu, ou pas voulu, rappeler Vandamme ? A-t-il considéré son propre combat comme trop engagé pour pouvoir se dégager ?

Dans tous les cas, si nous savons que Napoléon faisait face à une armée bien installée dans une position difficile à prendre, Grouchy ne pouvait pas le savoir. Abandonner sa position pour marcher au son du canon signifiait donc laisser libre de ses mouvements une armée de 100'000 hommes, qui de plus risquait de lui tomber dans le dos (surtout s'il donnait l'impression de rompre le combat et de reculer) pour courir au « secours » de l'Empereur sans le moindre ordre de sa part.

On peut par ailleurs tenir pour acquis que le 3ème corps prussien n'aurait pas laissé passer si simplement les français, qui ne pouvaient franchir la Dyle que par les ponts5.

Évidemment, après la bataille, Grouchy s'est rendu compte qu'il avait mal apprécié la situation, mais pouvait-il faire mieux ?

A supposer qu'il ait décidé de faire mouvement par Mousty, ses deux corps d'armée seraient tombés sur deux corps prussiens qui ne l'auraient certainement pas laissé passer comme ça. Avec le corps de Thielmann dans le dos, et compte tenu du fait que cela n'aurait certainement pas empêché Zieten d'arriver à Waterloo avec le corps demandé par Wellington… Mais voilà encore de l’histoire fiction : Grouchy a attaqué Wavre et à obtenu une victoire inutile, tandis que Thielmann a tenu son rôle brillamment et à bien couvert les arrières prussiens.

Ajoutons que compte tenu des positions respectives des différentes troupes, il n'y a pas vraiment de chances pour que les troupes de Grouchy soient jamais arrivées à Waterloo à temps.


1William Hyde Kelly dit « sans attendre Gérard ni même les ordres de Grouchy » (The battle of Wavre and Grouchy's retreat, page 116).
2On trouve 16h00 chez Kelly, mais aussi dans une source prussienne («  Das Gefecht bei Wavre an der Dyle am 18. und 19. Juni 1815 un sein Einfluss auf die Schlacht von La belle Alliance », monographie d'après les documents du major von Bornstedt, par sa fille Louise von Bornstedt, Berlin 1858, page 17, https://babel.hathitrust.org/cgi/pt?id=nnc1.1000464201&view=1up&seq=7). Mais Dawson (« Napoleon and Grouchy, page316, écrit : When one takes into consideration the losses sustained by Vandamme's men in the first stage of the action from around 14.00 to 19.00 ». Il est donc probable qu'au moment où l'on informe Grouchy du début des combats à Mont Saint-Jean, Vandamme soit engagé à Wavre.
3https://www.waterlooassociation.org.uk/2018/06/04/prussian-advance/
4Dawson, Ibid., page 193-195
5«Das Gefecht bei Wavre an der Dyle am 18. und 19. Juni 1815 un sein Einfluss auf die Schlacht von La belle Alliance», page 16

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